vendredi 26 avril 2019

Punta Serpeddi, 6+6 Isole, Monte Pellegrino


L’Italia del Grand Tour permet sur quatre ans de visiter toutes les régions d’Italie à vélo : le centre-nord avec la 1001 Miglia, le sud avec la 999 Miglia de Rome et les Alpes avec l’Alpi 4000 de Bormio. La dernière épreuve, la 6+6 Isole, propose deux randonnées de 600 km en Sardaigne et en Sicile, séparées par une nuit de bateau entre Cagliari et Palerme. J’étais impatient de terminer ce challenge, démarré en 2016, afin de conquérir le titre ô combien prestigieux de Grand Randonneur d’Italia.

J’avais en 2014 traversé la Sardaigne du nord au sud, en grimpant bien sûr les BIG au passage, à l’exception de la punta Serpeddi, qu’après une tentative avortée j’avais jugée trop chaotique pour un vélo de route. L’occasion était belle de combler cette lacune et j’avais donc pris soin avant mon départ de réserver un VTT de location.

J’établis rapidement le programme de mon mini-séjour en Sardaigne : départ en train de Nice vers Toulon le dimanche pour un embarquement le soir, liaison en vélo de Porto Torres à Sassari le lundi matin, train jusqu’à Cagliari l’après-midi pour une arrivée à Quartu Sant’Elena en début de soirée, après quelques kilomètres de vélo depuis la gare. Le lendemain mardi, ascension de la punta Serpeddi, avant une journée du mercredi consacrée aux formalités d’inscription et au repos avant le départ du soir.

Au moment du départ, une petite anicroche commença à bousculer mes plans.Tous les trains étaient supprimés pour travaux ce week-end là, entre Cannes et les Arcs. Les informations contradictoires que j’avais pu avoir à la gare n’ayant pas levé mes doutes quant à un arrêt total sur le tronçon Nice-Marseille, je partis le lendemain matin, dès que je fus prêt, pour me laisser le temps d’effectuer le trajet entier à vélo le cas échéant. Mais les trains allaient bien jusqu’à Cannes, et après avoir pédalé jusqu’aux Arcs, je pus prendre un train pour Toulon. Malgré son retard important, j’arrivai bien en avance, avec tout l’après-midi devant moi.

Alors que je me promenais vers le Mourillon pour tuer le temps, je rencontrai un quatuor de randonneurs franciliens, Guy, Mickaël, Geneviève et Vivian, qui prenaient le même bateau que moi et avec qui j’allais passer une bonne partie des jours suivants. Le reste du programme se déroula à peu près comme prévu : après nous être rendus ensemble à Sassari et pris le train, nous nous séparâmes à Cagliari, car j’avais privilégié pour mon séjour la proximité du loueur de VTT à celle du centre névralgique de la randonnée.


Le lendemain, j’échange donc mon vélo de route contre un vélo tout-terrain et pars vers la Punta Serpeddi. Le début se passe sur les routes assez plates de Quartu Sant’Elena, et ce n’est qu’au cimetière à l’entrée de Sinnai que la pente commence à se faire sensible. Plusieurs options sont possibles à la sortie de Sinnai. Un parcours part vers le nord et rejoint la piste de Dolianova, celui que j’ai pris est plutôt nord-est et rejoint celle de Burcei, les deux parcours se retrouvant juste avant la dernière rampe qui mène au sommet.


J’emprunte donc après Sinnai une petite route qui ondule entre les champs pendant cinq kilomètres. Au croisement avec la route de Tasonis, le goudron s’arrête et la piste apparaît, présentant d’abord une terre battue très facile à rouler. Au fil des kilomètres la piste se fait plus dure et parfois assez pentue. Des pourcentages très élevés se présentent juste avant l’intersection avec Burcei, mais la piste est heureusement cimentée à cet endroit. Au carrefour, la piste repart vers l’ouest, en devenant plus rude, et justifie pleinement l’utilisation du VTT. Enfin, après quelques portions plus planes, commence l’ultime rampe raide, et revêtue, jusqu’à l’antenne.

Le ciel était très menaçant depuis mon départ, avec par moments une petite pluie fine. Au sommet un bon vent est aussi de la partie. Je prends donc juste le temps nécessaire à la photo souvenir (mouillée) et à me rhabiller, puis redescends vite par le chemin pris à l’aller. Après une pause repas à Sinnai pour me réchauffer, je retourne à Quartu Sant’Elena attendre l’ouverture du loueur et récupérer mon vélo. Ça y est, j’ai grimpé tous les BIG de la Sardaigne !

Le lendemain, après avoir quitté mon appartement où tout le monde dormait (je n’aurais vu mes logeurs que quelques minutes lors de mon arrivée), je prends le chemin de l’hôtel Setar, lieu de départ de la randonnée, où Guy et Vivian se trouvaient aussi. Après les formalités, je retourne avec eux vers la villa qu’ils ont louée attendre l’heure du repas du soir et du grand départ qui sera donné en nocturne.

Enfin le moment tant attendu finit par arriver et vers 23h30 je m’élance dans la deuxième vague de randonneurs. Je me pose toujours la question dans ces épreuves de savoir quelle allure adopter. J’ai peur en allant trop vite de flancher par la suite, et en allant trop lentement de perdre du temps que je n’arriverai pas à rattraper. Toujours est-il que ce soir-là je suis plutôt pour l’option rapide et je rattrape dans le premier col pas mal de participants du premier groupe. Le col franchi, je pars dans la descente qui, avec sa pente assez douce et le fait qu’on soit de nuit, me paraît encore plus longue que la montée. Sur la portion de plat suivante, je roule à nouveau à allure rapide au sein d’un groupe, mais une crevaison de ma roue arrière met malencontreusement fin à mes velléités de performance. Après avoir réparé je repars à un rythme plus raisonnable en direction du premier contrôle, Torre di Bari, qui se trouve au bord de la mer quelques kilomètres à l’écart de la route principale. Le buffet est copieux, je me régale d’un fromage blanc au miel délicieux, que je serai heureux de retrouver de temps en temps sur le parcours.

L’étape suivante nous emmène à Dorgali, et comprend donc l’ascension du seul BIG de la randonnée (que nous ferons dans l’autre sens au retour), le Genna Silana. Comme je l’avais remarqué lors de ma précédente visite, les pourcentages de ce col (ainsi que des routes sardes dans leur ensemble) sont rarement élevés, même si je parcours cette fois-ci le versant opposé. Au croisement de Talana, je me retrouve sur une route déjà empruntée quelques années auparavant.

Après le col et la descente jusqu’à Dorgali, je repars en direction de Nuoro. La remontée vers Orgosolo est rude, sur un versant exposé au soleil. Pour ne pas être tentés de prendre un raccourci, nous étions dans l’obligation de présenter à l’issue du parcours une photo prise à Orgosolo. Les murs du village sont couverts de fresques et je suis tout content d’en trouver une représentant un compatriote, en la personne de Joseph Garibaldi.

L’accueil à Nuoro est sympathique comme toujours mais les conditions y sont assez spartiates : une esplanade avec peut-être trois chaises, pas de sanitaires, peu d’ombre, … Tant mieux, rien ne donne envie de s’attarder, je repars donc, avec Guy qui m’avait rejoint. Le passage le plus joli de cette étape est une route en corniche magnifique sur les flancs du Monte Albo, dans des paysages qui ne sont pas sans rappeler les Alpes-Maritimes. Après la descente vers Siniscola commence un tronçon un peu pénible. Nous ne sommes plus dans la montagne, mais les ondulations incessantes ne rendent pas le parcours plus facile, il y a davantage de circulation, on approche de la fin de l’après-midi et nous commençons à ressentir le fait que nous pédalons depuis la veille. Guy me dit qu’il est crevé et de ne pas l’attendre, puis il me rattrape, et c’est moi qui ai du mal à le suivre. Je le perds pour de bon à Orosei où je visite des rues bien pentues que j’aurais peut-être pu éviter, mais la traversée de cette ville ne m’a pas paru simple.

Dorgali est à nouveau l’arrivée de cette étape. La ville se trouve légèrement en altitude et la montée qui y mène s’avère un moment difficile. La nuit tombe, le sommeil commence à m’envahir, ma progression devient très laborieuse. Le passage sur quelques replats et le fait de rattraper quelques randonneurs qui me montre que certains sont encore plus usés que moi me redonne un peu d’énergie et j’arrive enfin à Dorgali où je profite sans me faire prier des couchages mis à notre disposition.

Il fait encore nuit lorsque j’attaque le versant nord du Genna Silana. Un peu reposé, je monte sans trop de problème, je suis juste un peu gêné tout en haut par un fort vent, dont je n’arrive pas à comprendre s’il est contre moi ou pour moi, il semble changer de sens à chaque instant. Je m’endors un peu dans la descente, mais continue jusqu’à Baunei. Dans le village, la vingtaine de vélos posés contre un mur me fait dire qu’il doit y avoir un café ouvert. Le patron s’affaire, un peu surpris par cet afflux matinal. Le café et les croissants me font du bien et m’amènent jusqu’à Bari Sardo, puisque les deux dernières étapes reprennent le parcours des deux premières en sens inverse.

J’y retrouve Guy, mais nous nous perdons immédiatement, la fatigue sans doute. Nous nous retrouvons cependant un peu plus loin, avec également Vivian, pour la montée du dernier col, l’Arcu e Tidu et la descente vers l’arrivée. Dans les derniers kilomètres de plat, la lassitude me fait ralentir un peu et laisser partir mes compagnons. J’arrive donc quelques minutes après eux, en ayant utilisé 39 des 40 heures allouées pour boucler le parcours. J’ai trouvé ce brevet particulièrement dur. Le fait que nous soyons partis le soir, et avons donc passé deux nuits sur le vélo, y est certainement pour quelque chose. Après une bonne douche, je parcours en groupe les quelques kilomètres jusqu’au port de Cagliari afin d’embarquer pour la Sicile. Vu l’état de fatigue dans lequel m’a laissé la Sardaigne, je ne suis pas très optimiste pour la réussite de mon brevet sicilien.

Il est agréable de profiter d’une soirée relaxante dans le bateau. Après un bon repas, je retourne dans ma cabine où j’ai la chance de passer une bonne nuit. Je me réveille juste à l’heure pour prendre un petit déjeuner sans précipitation. Lorsque le bateau accoste à Palerme, nous descendons sur nos vélos vers le lieu de départ, un hôtel du front de mer à proximité. Là, une table est placée au bord de la route, nous faisons tamponner en vitesse nos carnets de route, balançons nos affaires sur le tas à côté, et enchaînons immédiatement sur le 600 km de Sicile.

Je constate avec satisfaction que la nuit m’a fait du bien, et que je pédale bien plus facilement que la veille. Je fais toujours le cinquième mousquetaire dans le quatuor de mes amis parisiens emmené par Geneviève. Celle-ci va bon train et Guy et Vivian décident de prendre leur rythme. Personnellement je préfère profiter de mes bonnes dispositions actuelles pour faire le plus de chemin possible tant qu’elles durent, je reste donc avec elle et quelques autres randonneurs.

Geneviève a une âme de chef de troupe. Dans la montée de Termini Imerese, elle décide de faire passer le groupe par un chemin qui lui paraît meilleur que celui proposé. Je suis tout le monde dans un premier temps mais la traversée de la ville étant plus compliquée que prévu mon caractère indépendant se réveille et je décide de prendre mon destin en main. Mal m’en prend dans un premier temps, car je rate une intersection, et me retrouve séparé de la bonne route par une voie ferrée. Heureusement un passage souterrain au milieu des détritus me permet de retrouver le parcours.

La sortie de Termini Imerese marque l’entrée dans les terres. Là commence en effet l’Apennin sicilien qui va jusqu’à Messine. Pas moins de quatre BIG traversent cette chaîne montagneuse : Piano Battaglia Carbonara, Portella Femmina Morta, Portella dello Zoppo et Sella Mandrazzi. Malheureusement (ou plutôt heureusement) nous ne faisons que longer ces montagnes par leur versant sud, où ça grimpe déjà suffisamment.

Au début de la montée, une tribune étrangement située au bord de la route rappelle que la Targa Florio, une course automobile disparue, se déroulait sur ces routes le siècle dernier.Le reste de la journée se passe dans des collines verdoyantes magnifiques où le vent est omniprésent. Les montées et les descentes se succèdent. Le village de Gangi est particulièrement spectaculaire car il recouvre entièrement de ces maisons tout le sommet d’une montagne, dominé à l’arrière-plan par la silhouette imposante de l’Etna.

La route ondule autour des mille mètres d’altitude et la nuit commence à tomber. Avec le vent en plus, il ne fait pas chaud du tout et la beauté des paysages au soleil couchant en est un peu altérée. Le contrôle de Cesarò permet de nous réchauffer et de déguster des arancini bien chaudes. J’y retrouve Mickaël et Geneviève, puis Guy et Vivian arrivent. Je manque d’empressement pour attaquer la descente dans le froid et la nuit et laisse donc tout ce petit monde partir devant. Après une étape courte et descendante, j’arrive à Linguaglossa où nous sommes reçus dans un grand bâtiment, une sorte d’ancien monastère, comportant même une église dans sa partie centrale. Je dors un peu là et repars pour la deuxième partie du parcours, le retour vers Palerme qui suit intégralement le bord de mer.

Le jour se lève lorsque je traverse Nizza(!) di Sicilia. Peu après, je prends mon petit déjeuner au contrôle de Messine. Je roule ensuite seul, ou en groupe, au hasard des rencontres. Je tombe finalement sur Esteban, un habitué de ces randonnées, qui va m’accompagner, et même me soutenir sur la fin, jusqu’à l’arrivée, merci. Nous sommes rattrapés de temps en temps par de rapides groupes d’Italiens, auxquels nous emboîtons les roues histoire d’arriver plus rapidement au contrôle suivant.

Lorsque la nuit arrive, je m’aperçois que ma deuxième lampe a rendu l’âme (j’avais déjà dû récupérer celle de rechange en Sardaigne). Nous ne sommes plus très loin et Esteban se met derrière moi pour m’éclairer et m’accompagne ainsi jusqu’à l’arrivée. La circulation devient vraiment dense en approchant de Palerme, j’entends Elena qui roule devant moi dire à sa copine Laura « queste strade sono roulette russa », ce qui ne les empêche pas d’avancer à toute allure. Dans la dernière montée, à Bagheria, je jette l’éponge et laisse partir le groupe. Esteban continue de me prendre sous son aile (et dans la lumière de son phare) et nous atteignons finalement l’arrivée vers 21h. Ca y est, je suis Grand Randonneur d’Italia ! Ce deuxième brevet s’est finalement bien mieux passé que le précédent. Il faut dire qu’il était légèrement plus court et présentait un peu moins de montées. Et comme je l’ai dit, ne passer qu’une nuit sur la route au lieu de deux change beaucoup de choses.

Le San Paolo Palace est complet malgré sa taille imposante et je me retrouve devant la perspective pas très réjouissante de devoir chercher à cette heure tardive une chambre ailleurs en ville. Qu’à cela ne tienne, je rencontre Guy qui a réservé avec Vivian une chambre équipée de trois lits. On peut appeler ça de la chance.

Palerme possède son BIG, le Monte San Pellegrino, et je ne pouvais pas passer là sans le grimper. Je pars donc le lendemain matin, traverse le centre-ville et entame la montée. Les lacets sont nombreux et chaque épingle a la particularité d’être pavée, alors que le reste de la route est goudronné normalement. La vue est magnifique. On surplombe le port et on découvre tout le golfe de Palerme jusqu’au Capo Zafferano. Un passage sur le versant nord ouvre aussi de jolies vues vers le golfe de Mondello. Un sanctuaire très fréquenté se trouve en haut, et je traverse toute une rangée de boutiques de souvenirs plus ou moins religieux avant de tourner à droite pour le dernier tronçon de la montée.La route s’arrête à un parking, où une petite rampe permet d’atteindre la statue de Sainte Rosalie, patronne de Palerme.

Je profite de mon après-midi libre pour visiter la ville. Le soir je retrouve tous mes amis parisiens et repars avec eux au port d’où le bateau pour Gênes est prévu à 23 heures. Le départ ne se fait pas sans un petit peu de stress. D’abord lorsque nous sortons du restaurant, nous voyons que la grille du port juste en face a fermé. Heureusement une autre est ouverte un peu plus loin. Ensuite, Vivian met presque un quart d’heure pour retrouver ses papiers. Finalement tout s’arrange et l’embarquement se termine sereinement. Là encore, je squatte une couchette dans la cabine de mes amis parisiens, j’ai vraiment bien fait de les rencontrer à Toulon. La traversée se poursuit toute la journée du lendemain, nous longeons la Corse et passons tout près des îles de l’archipel toscan : Giglio, île d’Elbe, Pianosa, …

J’ai peu de temps lorsque nous débarquons à Gênes pour rejoindre la gare avant le passage du train pour Vintimille. C’est le moment que choisit mon GPS pour se mettre à dérailler. Je vais d’un côté, de l’autre, et les Parisiens sont tout surpris de me revoir passer devant eux alors que je venais de les quitter dans la précipitation. Finalement je trouve la gare et arrive sur le quai en même temps que le train, il était temps. A Vintimille, pour cause de travaux, le départ du train pour Nice est décalé à Menton. Je dois donc remonter sur mon vélo pour quelques kilomètres avant de prendre mon dernier train et retrouver la maison.

Plus de photos : http:/cathie.charbonnier.free.fr/piwigo/index.php?/category/154