dimanche 22 juillet 2018

Alpi 4000

Une fracture de la clavicule en début d’année, de ce fait seulement deux nouveaux BIG pour moi en 2018, gravis en préambule de l’Alpi 4000. Cette longue randonnée comprenait aussi de nombreux BIG, mais que j’avais déjà tous visités.

L’Alpi 4000 est le 3ème volet du brevet Italia del Grand  Tour, qui comporte 4 épreuves étalées sur 4 ans. Après l’Italie du centre-nord (1001 Miglia) en 2016 et l’Italie du Sud (999 Miglia) en 2017, c’était au tour des Alpes à servir de toile de fond à la randonnée, avec en prime des incursions en Suisse et en France. Le parcours de 1500 km dessinait un grand 8 au départ de Bormio, en alternant des portions de haute montagne et d’autres plus variées, et se terminait de manière terrible avec l’ascension du Stelvio.

Bormio a de quoi attirer le Biggeur, puisque la station se situe à l’intersection des routes menant aux cols du Stelvio, du Gavia et du Foscagno,la Bernina et le Mortirolo étant aussi accessibles à proximité. Mais je connaissais bien ces cols ayant déjà participé trois fois à la Valtellina Extreme, un brevet qui les rassemble tous. Un peu frustré d’entreprendre un périple aussi important sans rajouter de BIG à mon palmarès, je décidais d’avancer mon départ pour avoir le temps de grimper les deux derniers qui me manquaient dans les environs, le Passo San Marco et le Val Malenco.

Le vendredi 20 juillet, je prends donc le train avec mon vélo et arrive à Bergame vers 13 heures. Avant d’attaquer les choses sérieuses, je monte dans la ville haute faire un peu de tourisme. La visite est plaisante, moins la conduite sur les galets qui pavent les rues. A la sortie de la vieille ville, une petite route serpente agréablement à flanc de colline avant de plonger inéluctablement vers la nationale. Les kilomètres suivants sont moyennement agréables, jusqu’à Zogno où commence une ancienne voie ferrée reconvertie en piste cyclable.

Cette piste m’amène jusqu’à Piazza Brembana, en passant par San Pellegrino, là où jaillit la célèbre eau gazeuse. Deux lacets bien raides à la sortie de Mezzoldo marquent le début de la partie finale de la montée, qui se termine au milieu des alpages. Après avoir passé le col, une longue descente m’amène à Morbegno. J’y prends mon repas du soir en attendant le train de Sondrio, où je serai à pied d’œuvre pour grimper le Val Malenco le lendemain.

A Sondrio, le tonnerre avait grondé toute la nuit et le matin le temps était toujours très menaçant. La montée vers le Val Malenco est soutenue dès le départ, mais c’était la seule à mon programme ce matin. De nombreuses carrières se rencontrent tout au long de la route, mes recherches ultérieures m’ont appris que c’était une pierre appelée serpentine qui était exploitée là. Petit à petit, l’ambiance devient plus montagnarde, et la pluie s’invite finalement à 2-3 kilomètres du sommet. Dès le but atteint, je me dépêche donc de redescendre, mais la pluie est également descendue entre-temps et m’accompagne presque tout le reste du trajet. C’est donc trempé que je suis de retour à Sondrio, ce qui n’est pas grave car je n’ai plus que du train et du car pour rejoindre Bormio. Je retrouve là-bas quelques habitués du forum Super Randonneur (Pascal, Jean-Pierre, Alain et Patrice pour ne pas les nommer) pour les formalités de départ, puis direction l’hôtel pour le repas du soir et la dernière bonne nuit avant la randonnée.

Les départs étaient prévus échelonnés de 7 heures à 8 heures mais à 7 heures moins le quart l’aire de départ est déjà remplie de cyclistes. Après avoir salué Mario Zangrando, le fantastique président de l’US Bormiese et organisateur de l’événement, je m’élance vers le premier BIG du parcours, la passo Foscagno. Je l’avais toujours pris en descente, mais le versant Bormio ne présente pas de passage insurmontable, même s’il est plus long. Le col est suivi d’une courte descente et d’une courte montée vers le Passo Eira, puis un long faux plat à travers Livigno vers la Forcola, et enfin une descente qui amène vers la frontière suisse et les derniers kilomètres de la Bernina, qui ne sont pas les plus faciles.

A partir du Bernina Pass commence une descente de plus de 60 km, à peine coupée par le faux plat qui de Sankt Moritz amène au Maloja Pass (en laissant la route du Julier Pass sur la droite). Au bas de ce col, après le retour en Italie, deux autres BIG se présentent: le passo della Spluga, qui ramène en Suisse et dans la vallée du Rhin, et la petite route qui monte à Menarola. Mais d’une part ils n’étaient pas sur le parcours de la randonnée, d’autre part je les avais à mon palmarès depuis longtemps.

Au sud de Chiavenna commence une partie du parcours consacrée aux lacs. Des pistes cyclables agréables m’amènent au petit lac de Mezzolo, puis au lac de Côme que je longe par la côte ouest. La route est une nationale, il y a beaucoup de tunnels mais la plupart peuvent heureusement être contournés. A Menaggio, une bonne montée m’amène au lac de Lugano et à nouveau en Suisse. Je longe le lac jusqu’à la ville qui lui a donné son nom, puis une petite montée me fait revenir en Italie. Une jolie route qui côtoie une rivière me descend agréablement vers le lac Majeur, que je longe vers le sud jusqu’à Laveno.

A Laveno, l’organisation avait prévu la traversée du lac Majeur en bateau. J’avais déjà profité de ce transport très pratique, en allant du passo Cuvignone vers l’alpe Rossombolmo et le Mottarone, lors d’une précédente quête de BIG. Arrivé sur l’autre rive, je roule un peu dans le peloton qui s’était formé sur le bateau, jusqu’à un ravitaillement surprise, et d’autant plus agréable, sur les premières pentes de la route qui s’élève sur la rive ouest du lac d’Orta. Quelques kilomètres vallonnés m’amènent à Biella où je prends quelques heures de repos dans le stade utilisé à cet effet.

Aux premières lueurs de l’aube, je roule à travers le Canavese, une région que j’avais déjà traversée en allant vers le col du Nivolet. Le point de contrôle suivant était au palais de Veneria Reale, le Versailles turinois, que j’avais aperçu lorsque le Torino-Nice Rally m’y avait amené. Cette fois, nous avons l’honneur de pénétrer dans la cour royale pour faire tamponner nos carnets de route.

Après une dernière portion plate le long du val de Suse, commence le deuxième parcours de haute montagne de la randonnée, avec le col du Mont Cenis. Les organisateurs ont la gentillesse de nous proposer le détour par la petite route de Novalesa, qui monte beaucoup plus rudement, et sous un soleil de plomb. Après cette épreuve, une descente fait perdre une bonne partie du chemin rudement monté pour rejoindre la route normale du Mont Cenis.

C’est donc bien entamé que j’arrive à Lanslebourg. J’avais déjà lu des récits de cycliste contraints d’abandonner une épreuve car ils étaient devenus incapables d’avaler le moindre morceau de nourriture. Je m’étais toujours demandé comment une telle chose était possible, étant personnellement tourmenté en permanence par le problème inverse. Mais mon état de fatigue était tel à ce moment que je me retrouvai moi aussi confronté à ce problème. Le contrôle de Lanslebourg n’offrant pas la possibilité de dormir, je repars vers l’Iseran tout en me demandant comment je vais le franchir dans l’état où je me trouve.

Après quelques kilomètres faciles, j’arrive à Bonneval où je décide de faire une pause. Il est environ 19 heures, je m’arrête dans un restaurant où j’ai toutes les peines du monde à avaler le plat que j’ai commandé, sans parvenir à le finir. Après ça, je me dis que si je veux avoir une chance de passer le col je dois absolument me reposer. Je rentre dans un hôtel où l’hôtesse semble un peu interloquée de voir un cycliste vouloir se coucher à huit heures du soir mais me donne quand même une chambre.

Après une bonne douche et quelques heures de repos, je suis un peu requinqué et me prépare à repartir, au milieu de la nuit. Alors que je suis en train de finir de m’habiller, je vois entrer deux Italiens et leurs vélos. Persuadé qu’il s’agit de deux autres participants à la même randonnée, je suis tout heureux de leur annoncer qu’ils peuvent profiter de ma chambre le reste de la nuit. Mais après quelques instants de quiproquo, je comprends qu’ils sont en balade personnelle, qu’ils viennent de descendre l’Iseran et qu’ils ont réservé une chambre la veille. Je vous laisse calculer les probabilités pour que des cyclistes se croisent à deux heures du matin dans le hall d’un hôtel de Bonneval.

Le sommeil m’a fait du bien et je finis l’Iseran avec une aisance relative. Arrivé en haut je me couvre bien pour la descente et traverse Val d’Isère complètement endormie. Pour monter ensuite au Petit Saint-Bernard, j’avais noté qu’il fallait prendre la direction de Sainte-Foy Tarentaise, mais je me trompe et prends la direction de Sainte-Foy Tarentaise « Station ». Après quelques kilomètres sur cette route, je me rends compte de mon erreur et regarde mon GPS (il est temps) pour voir comment rattraper le parcours normal. Je trouve une petite route que je commence à descendre, mais inconsciemment pressé de retrouver le bon itinéraire, je vais trop vite, roule sans trop faire attention dans une crevasse du mauvais asphalte et me retrouve par terre. Je vois tout de suite que je n’ai rien de grave, à part quelques écorchures, mon vélo a l’air de bien se porter aussi. Si les déchirures faites à une tenue qui était déjà fatiguée avant le départ ne m’ennuient pas trop, l’état dans lequel je retrouve le beau coupe-vent Mavic tout neuf que j’avais acheté (cher) juste avant de partir me contrarie davantage (j’ai tout jeté à l’arrivée).

A la Rosière, je retrouve un groupe d’amis italiens avec qui j’avais roulé une bonne partie de la randonnée de Rome l’année précédente, mais que je suis bien incapable de suivre cette fois-ci. Après le passage du Petit Saint-Bernard et le contrôle de la Thuile commence une longue descente du Val d’Aoste, bien évidemment avec le vent de face (sinon ce n’est pas drôle). La dernière difficulté avant le retour à Biella est la montée au sanctuaire d’Oropa, haut lieu du Tour d’Italie, où nous montons à partir de Settimo Vittone par une petite route secondaire, très pentue par moments et même non goudronnée sur sa partie haute. Encore un des moments difficiles de cette randonnée.

La descente se fait facilement par la route normale. A Biella, je constate qu’il y a beaucoup moins de monde que deux jours auparavant, où j’avais eu du mal à trouver une place pour m’allonger. Les grandes montées que nous venons d’affronter ont largement étiré le peloton. J’essaye de dormir, mais au bout de quelques minutes, le sommeil ne semblant pas vouloir venir, je repars pour Pavie. J’ai la chance de trouver un groupe qui m’amène le long de cette étape toute plate. Nous roulons au milieu des rizières, et traversons de véritables nuées de moustiques. Heureusement ils ne nous font rien tant que nous roulons, mais il vaut mieux ne pas avoir envie de s’arrêter. J’arrive à Pavie vers deux heures du matin, et là je fais le bilan de mon parcours. Je réalise qu’il reste moins de 600 km avant l’arrivée, et que j’ai plus de trois jours pour les accomplir. Je commence à ce moment à envisager avec optimisme la réussite de mon périple.

Après avoir dormi à Pavie, je repars le long du Po, sur certaines portions déjà parcourues lors de la 1001 Miglia en 2016. Je me joins à trois sympathiques Italiens qui ont la gentillesse de m’accepter sur leur porte-bagages pour les trois étapes de plat suivantes qui nous amènent au lac de Garde. Le passage par Mantoue au crépuscule est un plaisir. Les organisateurs ont prévu dans le parcours un aller-retour, inutile mais que nous respectons, sur un pont en face de la ville, qui nous permet d’avoir un point de vue merveilleux sur la cité et les lacs qui l’entourent.

La journée suivante le long du lac de Garde m’offre de très jolies vues sous un soleil resplendissant. La Strada della Forra, un passage à l’intérieur d’une gorge très étroite et très profonde, est surprenante mais pas très longue. La descente après Tremosine nous fait passer sur « la plus belle piste cyclable du monde ». C’est une magnifique réalisation, accrochée à flanc de montagne et surplombant le lac de plusieurs centaines de mètres. Elle a aussi beaucoup de succès et demande donc de ne pas regarder que le paysage lorsqu’on la descend en vélo.

A la sortie de Riva del Garda, je m’arrête pour un café, qui se transforme en sieste au soleil sur un fauteuil confortable. Le vélo a du bon dans ces moments là. Mais les meilleures choses ayant toujours une fin, je reprends la route vers Arco, et son château juché en haut d’une falaise impressionnante. La montée recommence par une route en lacets, suivie d’une piste cyclable bienvenue. Un joli passage le long du lac de Molveno et une dernière montée m’amènent à Andalo. De là, je n’ai plus qu’à descendre vers Spormaggiore où je passe la dernière nuit de mon périple.

A l’aube le lendemain, je roule au milieu des pommiers du Trentin. De véritables immeubles de cageots attendent la prochaine récolte. Tout en roulant j’essaye d’évaluer le nombre de pommes : 20 pommes en largeur, 50 en longueur et 10 en hauteur, soit 10000 pommes pour un seul bac, 200 millions de pommes pour l’empilage de cageots devant mes yeux ! Voilà qui me rassure pour mes prochaines visites au marché : la pénurie de goldens n’est pas à l’ordre du jour.

Ces considérations m’amènent au début de la montée du passo delle Palade, qui est longue mais heureusement pour moi jamais très pentue. La descente me ramène dans la vallée de l’Adige, que je commence à connaître pour l’avoir parcourue en 2015 entre Pass del Fuorn, Val Martello et Gampenpass, et l’avoir descendue dans son intégralité l’année précédente lors de la Transcontinental Race. Je profite d’un généreux plat de spaghettis au dernier ravitaillement de Silandro et pars pour la dernière épreuve, et non la moindre : l’ascension du Stelvio par son versant le plus mythique, et le plus ardu.

Le Stelvio est sans doute le plus beau col d’Europe, et il est aussi une des plus exigeants. Je m’étais attendu plusieurs mois avant la randonnée à souffrir dans cette montée particulièrement dure, abordée au bout de près de 1500 km de route. Mais ce que j’ai vécu a dépassé mes craintes. Je dirai juste que j’ai dû mettre plus du double du temps habituel pour le gravir. Mais j’ai tout de même fini par arriver en haut, ouf.

Alors que nous avions été remarquablement épargnés par le mauvais temps tout le long de la randonnée, un grand coup de tonnerre retentit au moment où je sors du contrôle final au col, et c’est sous une pluie battante que je rejoins Bormio. Après une douche bien nécessaire, je passe la nuit comme je peux et me dirige au petit matin vers le bus de Tirano. J’arrive à Milan à neuf heures et demi, mais le train de onze heures est complet, et je dois attendre jusqu’à quinze heures pour pouvoir rentrer à Nice. Durant tout le temps que je passe dans la gare de Milan, je ressasse que si j’avais été muni d’un Smartphone, comme tout le monde, j’aurais peut-être eu la possibilité de réserver le premier train la veille (ce qui m’a incité à en acheter un à mon retour à Nice, qui me servira n’en doutons pas lors de mes prochains voyages).

Malgré que j’ai souffert relativement durant cette randonnée, de par ma forme moins bonne que les autres années suite à ma fracture de la clavicule, et aussi sans doute parce que je n’avais pu m’empêcher d’aller grimper des BIG juste avant le départ, je suis bien évidemment très content d’avoir réussi ce troisième volet de l’Italia del Grand Tour. J’ai hâte maintenant de retrouver la Sardaigne et la Sicile pour terminer ce brevet qui me tient tant à cœur. Rendez-vous en avril 2019.